mardi 31 mars 2015

Reformulation

Il me semble que l'on peut reformuler de la manière suivante les questions ouvertes par les critiques précédentes :
  • qu'est-ce exactement que le "libéralisme"  ?
  • qu'est-ce que le libéralisme et le socialisme ont en commun ?
  • le libéralisme est-il efficace économiquement ?
  • est-il efficace "éthiquement" ?
  • est-il compatible avec la doctrine sociale de l'Eglise ?
  • quel doit être dans chaque idéologie le rôle des corps intermédiaires ?
  • la doctrine sociale de l'Eglise peut-elle s'exprimer par des règles politiques et/ou économiques ?
La discussion est ouverte sur tous ces points. Tous les lecteurs sont invités à y participer, soit par commentaires directs, soit en me mailant des textes plus longs que je reposterai ici comme articles. Merci à tous de votre intérêt.

Libéralisme et catholicisme, une approche

Le premier commentateur répond au deuxième, pour défendre le libéralisme. Nous entrons donc dans la discussion sur le libéralisme dans la doctrine sociale de l'Eglise.

Je rejoins le point de vue exprimé sur les aspects suivants :

1.     La Renaissance point de départ de la pensée moderne
Lorsque Descartes affirme « Je pense, donc je suis », il résume la pensée qui émerge : l’homme n’a de compte à rendre qu’à lui-même ; il n’a pas à se recevoir de Dieu, il veut et peut être son propre maître. Cette conception a, petit à petit, imprégné toute la société et a abouti à l’individualisme et l’athéisme de la société actuelle. Je ne connais pas Pic de la Mirandole, mais il semble bien être un précurseur de ce même esprit.
Grave erreur que de se couper de sa source. Cela conduit à l’absurde et à la violence.

2.    Le mal présent en chaque homme
Le mal est insupportable ; alors la tendance naturelle est d’en rejeter la responsabilité et le poids sur les autres ; c’est le mécanisme du bouc émissaire.
Le christianisme est, de ce point de vue ; très novateur (et dérageant) en affirmant que le mal est au cœur de chacun (tout homme est pécheur).
C’est dur à accepter, mais, au final, très libérateur et source de paix.

Mais je diverge sur le libéralisme ; on ne peut pas, à mon avis, le mettre sur le même plan que le communisme

-      Le communisme utilise à fond la technique du bouc émissaire. Le mauvais, c’est le patron, le bourgeois… alors on les élimine et comme il y a toujours des problèmes on lance une nouvelle campagne pour démasquer les révisionnistes qui se cachent… et ainsi de purge en purge...
Le libéralisme n’a pas cette démarche, et affirmer que le faible en est le bouc émissaire me semble exagéré ; en l’absence de mécanisme compensateur, il en est, c’est vrai, souvent la victime.
-      Il est de bon ton de souligner les défauts du libéralisme ; et il est vrai qu’ils existent. Mais il est rare de dire qu’il a aussi de solides qualités que je voudrais rappeler :
·       Le marché permet la mise en œuvre concrète du principe de subsidiarité : celui qui a le vrai pouvoir, c’est l’acheteur.qui choisit ce qui lui convient le mieux.
·       Le marché, qui équilibre en permanence l’offre et la demande, donne à l’économie une grande faculté d’adaptation. Si le contexte évolue, le point d’équilibre se déplace et l’économie s’ajuste.
·       La base de l’économie de marché, c’est le contrat entre l’acheteur et le vendeur. Des relations basées sur le contrat, c’est tout de même beaucoup mieux que des relations basées sur un rapport de force.
·       Le libéralisme favorise la liberté d’entreprendre, ce qui est très important pour le dynamisme d’une société..
·       Et enfin le libéralisme valorise la responsabilité. L’entrepreneur a une grande liberté, mais il doit assumer les conséquences de ses actions.

samedi 28 mars 2015

Un autre point de vue

Suite à la critique précédente, un autre lecteur, "fan" de JC Michea, attaque à son tour le libéralisme. Décidément, le libéralisme constitue bien la pomme de discorde actuelle entre catholiques. Ceci promet des discussions passionnantes autour de la doctrine sociale de l'Eglise.

Sur le libéralisme je crois que celui-ci est autant une impasse que le communisme.Certes il a des effets apparemment positifs mais c'est au prix d'un épuisement des individus et de la planète. Aujourd'hui il repose sur une quasi mise en esclavage des producteurs (en Asie, mais voir aussi les paysans en Europe).On a tort de penser qu'on ne peut vivre autre chose.
 
Il repose à la base sur des erreurs théologiques concrétisées à la Réforme mais s'enracine également dans le mouvement de modernité de la fin du moyen âge, symbolisée par la primauté abusive de l'individu qui n'est plus à l'image de Dieu, mais devient son propre créateur, comme le montre un texte de Pic de la Mirandole sur la Création. La conséquence est qu'il va falloir trouver un autre moyen de régler la vie en société, radicalement différent des sociétés traditionnelles qui étaient régies par des codes de fonctionnement et une transcendance acceptée. La solution trouvée sera le libéralisme qui repose sur l'échange marchand qui tient lieu de lien social et la mise en œuvre d'un système juridique pour régler les rapports entre les personnes. En effet on ne saurait plus accepter de transcendance véritable car c'est une atteinte à l'homme tout puissant.
 
Par la suite on a théorisé cela avec le mythe des guerres de religion : la transcendance conduit à la violence, donc construisons la société sur la base du minimum pour organiser le "vivre ensemble". C'est "l'empire du moindre mal" si brillamment décrit par JC Michea.
 
On voit que la liberté d'entreprendre est ici anecdotique, c'est une différence beaucoup trop mise en avant avec le communisme issu aussi de la pensée libérale. Le système libéral est donc a combattre avec la plus grande fermeté tant il est aux antipodes d'une conception chrétienne de la société.
 
La doctrine sociale de l'église a justement comme caractéristique de se situer sur un autre plan que libéralisme et communisme qui sont de visions religieuses totalitaires de la société (sans distinction des pouvoirs). Elle énonce des principes qui ne sont en aucun cas la définition d'un système. Il est donc fondamentalement faux de dire que c'est un intermédiaire entre ces deux systèmes, qui sont en fait deux aspects d'une même pensée dont il faut s'extraire pour imaginer autre chose.Mais on a du mal tellement on est dedans !
 
Dans tous les cas aucun système ne peut apporter le paradis sur terre, puisque le Royaume n'est pas de ce monde, marqué par le péché originel.Et donc la première chose que demande le christianisme est de lutter soi même pour édifier le bien, car le mal n'est pas externe il est d'abord en nous. Toute autre approche de système revient à se déresponsabiliser et à désigner un bouc émissaire (les patrons dans le communisme, les faibles dans le libéralisme)  et de solutions toutes faites. Finalement, notre liberté de faire le bien a disparu puisque c'est le système qui sauve et l'homme émancipé devient esclave.


Suite de la critique précédente

Les monopoles

Je pense qu'il est faux de dire que les Etats-Unis laissent le champ libre aux monopoles privés; les lois anti-trust sont faites pour cela et elles sont appliquées. Le principe de base de l'économie libérale est qu'il faut de la concurrence et que celle-ci soit loyale; les monopoles privés sont clairement opposés à ce principe.
Pour ce qui est des français, ils aiment beaucoup les monopoles d'état considérant que ceux-ci sont garants du bien commun, contrairement aux entreprises privées qui ne pensent qu'à faire du fric. Je ne partage pas ce point de vue, je crois que toute entreprise en situation de monopole, qu'elle soit publique ou privée, tend à abuser de son pouvoir.
J'ai travaillé dans une entreprise privée du temps où les prix étaient fixés par l'état. Les dirigeants montaient une fois par an à Paris pour discuter des prix de l'année suivante et revenaient en expliquant qu'on ne leur avait accordé que des prix de misère... Mais en fait, l'entreprise vivait grassement. Lorsque Raymond Barre a été nommé premier ministre, il a décidé de supprimer ces prix administrés, et d'ouvrir la concurrence. Les conséquences ne se sont pas fait attendre longtemps; les prix ont baissé et il a fallu lancer un plan de restructuration.
On pourrait aussi évoquer le cas de France Télécom qui vivait confortablement à l'abri de son monopole. Les salariés étaient choyés, l'état empochait de généreux bénéfices; tout allait bien sauf que c'était le consommateur qui payait l'addition... L'ouverture de la concurrence et l'arrivée de Free a changé la donne.
La concurrence est douce aux consommateurs et dure au producteurs. Il faudrait trouver le bon équilibre, ce qui n'est pas facile...


Les corps intermédiaires

L'Eglise les encourage et, en effet, je pense qu'ils ont un rôle positif à jouer. Mais la chose est assez délicate, car là aussi les dits corps disposent d'un pouvoir dont ils abusent bien souvent.
   
Prenons les corporations du Moyen-Age souvent citées en exemple. Elles avaient une action bénéfique en organisant et représentant les professions; mais par ailleurs, il était très difficile à ceux dont la famille n'appartenait pas à une corporation d'y entrer; c'était une sorte de club fermé, ce qui n'était pas très bon pour le bien commun.
    
Plus près de nous, les syndicats sont utiles; mais lorsqu'en 1995 la CGT SNCF a bloqué le pays pour défendre des intérêts très discutables, je ne pense pas que le bien commun y ait trouvé son compte.
    
Et si l'on veut parler des nations, corps intermédiaire qui peut protéger des ravages de la mondialisation; il ne faut pas oublier que les deux guerres mondiales du 20ième siècle ont été la conséquence des ambitions et des égoïsmes des dites nations.

vendredi 27 mars 2015

Une critique d'un lecteur

Un lecteur m'a adressé par mail la critique suivante. Il serait dommage que les autres lecteurs n'en profitent pas, aussi la posté-je ici sans lui demander son avis, mais de manière anonyme. Le texte commence par quelques mots approbateurs que je saute par pure fausse modestie pour en venir à la critique elle-même. J'y répondrai dans l'article suivant.



J’ai été intéressé, mais suis un peu perplexe sur les points suivants :

-      Le rôle et l’importance de la maçonnerie.
Étant, par nature, secrète et souterraine, il n’est pas facile de se faire une idée objective sur la question. Toutefois, avec les moyens modernes d’investigation, le secret tend à se fissurer. On trouve périodiquement des enquêtes dans la presse, qui montrent que beaucoup de postes de pouvoir sont tenus par des francs-maçons ou des gens qui en sont proches. On sait qu’ils sont très actifs dans les fonctions supérieures de la justice et de la police…
Donc oui (malheureusement) je crois que leur influence est très importante. Il semble bien que les lois sur l’avortement, l’homosexualité et l’euthanasie aient été préparées, de longue date, dans les loges. Dans le cadre des AFC, il y a quelques années, le médecin [censuré], ancien maçon, avait expliqué de quelle façon il avait été « viré » du poste important qu’il occupait dans le système de santé, à partir du moment où il s’était converti au catholicisme ! Le pouvoir occulte des réseaux francs-maçons n’est pas un mythe…

-      Les liens étroits entre la maçonnerie et le calvinisme.
C’est, pour moi, quelque chose de nouveau. Les images que j’ai d’un bon maçon et d’un bon calviniste sont très différentes, voire opposées.
Je perçois un maçon comme un bon vivant qui aime les plaisirs de la vie (et a souvent tendance à en abuser), qui a acquis dans les loges un solide savoir-faire en matière de com ; il est à l’aise en société et « réseaute » beaucoup ; cela lui ouvre beaucoup de portes dans la vie professionnelle et en politique. Il est athée et très anticatholique.
Je perçois le calviniste comme un croyant convaincu qui est entreprenant, travailleur et d’une honnêteté scrupuleuse. Il n’est pas contre l’argent, mais ne l’utilise pas pour son plaisir personnel ; il a généralement un mode de vie austère. La « petite maison dans la prairie » serait une bonne illustration de son mode de vie (vu tout de même avec des lunettes roses…).
On voit mal comment des profils aussi différents pourraient faire bon ménage…
Peut-être cette contradiction apparente vient-elle de la coupure entre la « piétaille » et les élites de ces deux religions. Un peu comme dans le parti communiste d’après guerre où les militants de base étaient souvent généreux et désintéressés, tandis que les dirigeants jouaient à de très troubles jeux de pouvoir ???

-      Le colonialisme
Difficile de nier que ce fut, dans bien des cas, des conquêtes militaires brutales et très peu respectueuses des populations locales. Mais l’argument utilisé à l’époque, à savoir « apporter aux populations colonisées les bienfaits du progrès » n’était pas, de mon point de vue, totalement dépourvu de sens. Il est de bon ton aujourd’hui de redécouvrir Jean-Jacques Rousseau et de penser qu’avant la « civilisation » les peuples des « bons sauvages » menaient une vie heureuse, pacifique et en harmonie avec la nature. Je crois que la réalité était assez éloignée de ces images d’Épinal ; l’Afrique, en particulier, était le théâtre de violences permanentes : guerres, famines, esclavage etc… La colonisation française y a apporté la paix, un peu comme l’empire romain l’avait fait en Gaule et ce fut un bienfait non négligeable. La description qui en est donnée est, me semble-t-il, trop noire.

-      Le libéralisme
Le point de vue qui est exprimé dans cet exposé rejoint (pour une fois) la pensée dominante française, à savoir que le libéralisme est une horreur absolue (auquel on accole de façon presque systématique le qualificatif « d’ultra », ce qui en fait ipso facto un dangereux extrémisme).
Difficile de nier qu’il a conduit et conduit encore à de grandes inégalités et, dans certains cas, à une forme de travail proche de l’esclavage. C’est vrai, ce système est loin d’être parfait.
Mais il me semble bien injuste de ne voir que cela. L’homme a un besoin vital de se nourrir, de se vêtir, de se protéger etc… et cela ne lui tombe pas tout cuit. Il lui est nécessaire de travailler pour transformer ce que lui offre la nature pour satisfaire ses besoins ; et ce n’est pas une mince affaire.

Il faut bien reconnaître que la mise en application des théories libérales a permis de relever ce défi, ce que n’ont pas réussi les autres systèmes qui ont été essayés :
l’économie planifiée par l’état a été mise en œuvre à grande échelle par les régimes communistes et s’est révélée partout désastreuse ; l’autogestion à la sauce yougoslave était très à la mode dans les années 1980 (la CFDT en avait fait son cheval de bataille), qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Alors oui, ce n’est pas la panacée ; il est important d’identifier et corriger ses dérives (je pense en particulier à l’évolution de la finance mondialisée), d’avoir des contre-pouvoirs et des contrôles… Mais ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain !.
L’Église, dans sa doctrine sociale, définit un certain nombre de principes auxquels il est important de se référer, mais il n’est pas dans sa vocation de proposer ou labelliser un système économique.
Il y aurait aussi à dire sur les monopoles et les corps intermédiaires, mais je ne veux pas trop m’étendre sur ce sujet.

-      Le positivisme et le progrès
Il y a eu, au 19ème siècle une véritable religion du progrès.
Et il est vrai que cette religion s’est développée contre le catholicisme qu’elle prétendait remplacer.
Ceci dit, l’Église n’a pas été opposée au progrès et elle a participé à son développement.
Je me sens personnellement partie prenante de cette grande aventure collective (atavisme d’ingénieur ?). Je suis émerveillé par tous les objets qui sont à notre disposition aujourd’hui et qui nous facilitent énormément la vie (pour ne prendre qu’un petit exemple, pensons à ce que serait la vie sans machine à laver et réfrigérateur).
Les hommes du 19ième siècle rêvaient du progrès et n’en bénéficiaient encore qu’à la marge. Nous, qui maintenant en récoltons les fruits, avons une certaine tendance à cracher dans la soupe…
Bref, je n’ai pas sur le progrès technique un regard négatif, même s’il y a des ombres au tableau (les armes, l’environnement…).
Pour ce qui est du progrès moral, c’est autre chose…

 -      Les perspectives d’avenir et la démographie.
La perspective est très noire ; Malthus est à l’honneur.
Il est clair que le mode de développement actuel des pays occidentaux généralisé à l’ensemble de la population mondiale conduit à une impasse.
Il est clair aussi qu’un monde aux surfaces cultivables limitées, n’est pas compatible avec une croissance démographique illimitée.
Il y a là de redoutables défis, mais la vie n’a jamais été simple et les solutions se trouvent en tâtonnant et en expérimentant. Je suis frappé de voir combien les mentalités ont évolué sur ces sujets en une vingtaine d’années…
Le progrès technique ne résoudra pas tout, mais il peut néanmoins apporter une importante contribution.

Et pour le reste, à la grâce de Dieu…